Le délégué à la gestion journalière: que peut-il (ne pas) faire… La Cour de cassation élargit encore le fossé qui sépare le droit et la pratique!

Spotlight
17 juin 2009

Dans un arrêt récent, la Cour de cassation a donné une interprétation particulièrement restrictive des pouvoirs du délégué à la gestion journalière. Cette interprétation peut coûter cher aux sociétés, surtout dans le cadre de procédures. La vigilance s'impose, ainsi qu'un bon régime de procurations!

Les faits parlent d'eux-mêmes. La commune d'Ixelles avait instauré une taxe sur les emplacements de stationnement. Ce règlement-taxe était applicable au supermarché Delhaize local, de sorte que la société Delhaize avait reçu un avertissement-extrait de rôle. Deux cadres de la société avaient alors introduit une réclamation contre cette imposition. Au cours de la procédure, le délégué à la gestion journalière de Delhaize avait confirmé que les deux cadres y avaient été mandatés. La cour d'appel avait reçu la réclamation et avait confirmé que celle-ci avait pu être introduite à base de ladite délégation, accordée par le délégué à la gestion journalière.

Dans un arrêt du 26 février 2009, la Cour de Cassation a annulé cette décision, en appliquant une interprétation de la notion de la gestion journalière particulièrement stricte. Il est vrai que la cour d'appel avait jugé que la réclamation était de peu d'importance, mais avait omis d'examiner si l'introduction de la réclamation était tellement urgente qu'il ne restait plus de temps pour convoquer le conseil d'administration de Delhaize à cette fin. Pour des opérations qui ne sont pas courantes, une telle urgence est toutefois nécessaire pour qu'un délégué à la gestion journalière puisse agir, selon la haute juridiction. La situation n'étant pas urgente, le conseil d'administration de Delhaize aurait dû mandater quelqu'un pour introduire la réclamation.

Dans la pratique, le délégué à la gestion journalière s'attribue souvent des pouvoirs très étendus. On sait que les limites de la gestion journalière sont alors parfois dépassées. La société ne sera alors liée qu'après avoir confirmé ces actes de façon explicite ou implicite, ou quand le tiers a légitimement pu croire que le délégué à la gestion journalière disposait d'un mandat assez large.

Il n'est pas facile de déterminer quels actes concrets restent dans les limites de la gestion journalière. Cela dépend de la nature et de la dimension de la société et de ses activités. L'interprétation classique prescrivait que la gestion journalière comprend tous les actes qui sont commandés par les besoins de la vie quotidienne de la société, ainsi que les actes qui, en raison tant de leur faible importance que de la nécessité d'une prompte solution, ne justifient pas que le conseil d'administration intervienne lui-même.

On pourrait soutenir que dans une société de la taille de Delhaize, l'ensemble de tâches journalières comprend l'introduction de réclamations contre des taxes locales. Dans la présente affaire, c'est une approche différente qui a été retenue: Delhaize a soutenu que la réclamation n'était que de peu d'importance, de sorte que le délégué à la gestion journalière pouvait agir lui-même.

La Cour de Cassation a affirmé à présent que le délégué à la gestion journalière est uniquement habilité à régler des bagatelles non-courantes quand celles-ci sont également urgentes. Les affaires ni urgentes ni courantes relèvent alors de la compétence exclusive du conseil d'administration.

Une application stricte de cette jurisprudence est absolument impraticable. Le conseil d'administration devrait alors se pencher sur nombre de futilités, alors qu'il est indispensable – aujourd'hui plus que jamais – que le conseil se concentre sur la stratégie.

Dans la pratique, il ne faudra pas en arriver là. Il suffit que le délégué à la gestion journalière reçoive – en plus de sa mission de gestion journalière – un mandat spécial qui lui "permette" de s'occuper également de "bagatelles". Mais, il s'agira d'ouvrir l'oeil, surtout dans des procédures judiciaires. Afin d'éviter des problèmes en matière de preuves, il semble opportun de formellement soumettre de telles décisions au conseil d'administration. Tout au moins jusqu'à ce que la Cour de Cassation revienne à de meilleures dispositions.